De saintes avidités

01 août 1951, Raymond Tousch
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« Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ». Luc 11 : 28

Être heureux ! Bien des hommes recherchent avec ardeur cet état, mais combien le connaissent vraiment ? Poursuite pourtant bien légitime, semble-t-il ! Qui voudrait repousser délibérément l’occasion d’être heureux, pourrions-nous nous dire ? Et pourtant, fait remarquable, ceux qui déploient le plus de zèle dans cette direction, sont ceux qui le possèdent le moins. Ce zèle ne serait-il pas en lui-même une garantie de faillite, puisqu’il tend à envisager le bonheur comme un objectif à atteindre ?

En fait, l’exemple de ceux qui se comportent ainsi ne présente pas d’attrait puissant sur nos cœurs. Les grandes figures qui impressionnent profondément sont celles d’hommes de Dieu, qui, au fort même de la détresse, furent rendus capables, non seulement de supporter le malheur, mais encore de conserver dans leur cœur une paix et un bonheur positifs que rien ne pouvait tarir.

Arrêtons un instant notre pensée sur le prophète Jérémie, pour ne prendre que cet exemple. Qui, plus que lui et dans sa génération, fut en butte à l’hostilité de ses frères ? Qui a été chargé d’une mission plus écrasante que la sienne consistant à faire connaître à un peuple auquel il était profondément attaché de redoutables prédictions ?

Tenait-il toujours le fil d’Ariane du bonheur dans ce terrible dédale d’adversités ? Interrogeons-le et découvrons ensemble qu’au-delà des conditions du moment, quelles qu’elles aient pu être, son bonheur trouvait sa source permanente, dans la Parole du ‘Dieu bienheureux’ (1 Timothée 1 : 11) auquel il appartenait ! « Dès que j’ai entendu tes paroles, je les ai dévorées et tes paroles ont fait la joie et l’allégresse de mon cœur », s’exclame-t-il avec une sorte de violence (Jérémie 15 : 16) au sein de la tempête d’amertumes qui s’élève dans ces chapitres.

Repoussant les mirages autant que ‘les citernes crevassées’ son être venait avidement se renouveler aux sources sûres de la Parole de son Dieu.

A la face même de ses adversaires, tout comme pour David (Psaume 23 : 5), Dieu dressait ainsi, par sa Parole puissante, une table à laquelle son serviteur reprenait sans cesse force et courage.

Le Dieu de Jérémie est aussi le nôtre. Mieux encore que pour son prophète, Il a préparé et à grand prix, une table royale, à laquelle Il nous convie chaque jour et dont la réalité, c’est Christ lui-même. C’est bien Lui, la Parole vivante, qui par son grand sacrifice est devenu notre pain quotidien et par là même la source de notre bonheur.

Une question doit donc monter à notre cœur devant ce que Dieu a préparé si parfaitement : Quels genres de ‘convives’ sommes-nous devant la Parole écrite dont les pages nous présentent le Fils ?

Il y a bien des manières d’aborder le Livre.

Au milieu d’un grand nombre de catégories sans attrait, en voici quelques-unes :

I. Il y a les gloutons, ceux qui en ‘avalent’ ni plus ni moins le contenu.

Avaler, voilà bien une forme rapide de prendre une nourriture ; mais quelle satisfaction imparfaite on en éprouve. La participation consciente est réduite au minimum, le gros du travail étant abandonné aux organes internes de la digestion. A eux de se ‘débrouiller’ pour effectuer ultérieurement les transformations nécessaires.

Résultat immédiat : pour avoir ressenti un appétit d’ogre, une rapide lassitude se manifeste, sans que les besoins soient vraiment satisfaits. Résultats à longue échéance : des troubles de toutes sortes, dépassant le cadre des voies digestives s’ensuivent. Ne dit-on pas qu’un estomac qui fonctionne mal favorise la mauvaise humeur ?

Ainsi en est-il de ceux qui ne prennent pas garde. Ils se privent du meilleur et du plus utile tout en désirant, quoique ardemment, posséder les deux. Ils avalent. Pratiquement parlant, ils ‘survolent’ la Parole de Dieu, sans s’en approprier effectivement les éléments vivifiants par une saine et vigoureuse méditation. Comment peuvent-ils connaître et incorporer jusque dans les fibres de leur être, la connaissance de la volonté de leur Dieu, puisque celle-ci trouve un accès si imparfait en eux ?

Laissons notre soif du Dieu vivant se donner libre cours, mais que ce soit dans la recherche de sa volonté par une méditation digne de ce nom de ses Paroles.

II. Une autre catégorie se présente : ceux qui boudent ou qui font les difficiles.

Ce sont des enfants gâtés. Habitués aux ‘sucreries’, ils n’ont qu’un maigre appétit et n’apprécient que peu la nourriture simple et substantielle. Ils se comportent comme si la Parole de Dieu était un supplément facultatif à leur philosophie ou à leur mesure d’expérience. Du bout de leur fourchette ils piquent un verset à leur goût en négligeant le reste. Point de sainte avidité dans cette direction. Si seulement ils prenaient un peu d’exercice dans la pratique de la volonté de leur Seigneur, ils reprendraient bien vite le goût du ‘pain des forts’ (Psaume 78 : 25). Non, la Parole de Dieu ne nous a pas été donnée pour satisfaire nos caprices, mais pour nous servir de nourriture solide, adaptée à nos besoins, bonne et suffisante, parfaite en soi.

La liste pourrait s’allonger mais avant d’y mettre un terme, citons encore une catégorie dont le cas est redoutable :

III.Ceux qui s’empoisonnent avec la Parole.

N’est-ce pas un paradoxe que de pouvoir s’empoisonner avec cette même Parole qui est une parole de vie ? « Odeur de mort pour les uns, nous dit Paul, odeur de vie pour les autres », ajoute-t-il (2 Corinthiens 2 : 16). Odeur de mort, parce qu’ils « tordent le sens des Ecritures pour leur propre perdition » (2 Pierre 3 : 16). Ayant soigneusement extrait versets ou textes à leur goût, ils les assaisonnent de divers poisons de leur invention charnelle. Non contents de les absorber, ils les présentent avec impudence aux âmes ignorantes ou mal affermies, dans des recettes séduisantes mais étranges. « Produits bibliques » clameront-ils. « Mélanges diaboliques », constaterons-nous, derrière cette odeur de mort.

Ainsi donc il importe, pour notre plus grand bien, que nous soyons trouvés dans la catégorie des ‘Jérémie’, car ceux-là :

  1. Ils découvrent le Dieu de Jésus-Christ qu’ils cherchent, par une saine méditation de ses Paroles. Leur cœur veille.
  2. Loin de faire des triages à leur fantaisie, ils les aiment toutes par le recueil écrit des Ecritures. Leur avidité ne les conduit nullement à devoir s’étrangler avec les ‘arêtes’ qu’ils ne manquent pas de rencontrer. En recherchant des lumières plus précises sur ce qui leur apparaît difficile, ils se réjouissent de la substance.
  3. Rendus prudents à l’égard des pensées humaines (Matthieu 16 : 23), et dans le souvenir qu’ « il y a telle voie qui semble droite à l’homme, mais dont l’issue mène à la mort » (Proverbes 14 : 12), ils se gardent des mélanges meurtriers en apprenant à les reconnaître sous des couverts bibliques.

Ainsi en est-il de David qui fait écho dans le Psaume 119 en particulier, à l’amour profond qui doit nous animer pour la Parole de Vie (versets 14, 72, 162).

Pour nous, comme pour quiconque, posséder la Parole de Dieu dans sa maison ou même dans sa main, n’est d’aucune sécurité ni d’aucune utilité. Ce qui importe, c’est d’en voir la richesse incorporée dans nos êtres par une transformation intérieure et personnelle en puissance de vie.

A l’exemple de David, « serrons sa Parole dans nos cœurs, afin de ne pas pécher contre Lui » (Psaume 119 : 11). Et si notre cœur possède la Parole, la Parole aussi possèdera notre cœur et le moulera dans des impressions fortes, utiles et durables.

Tels les Huguenots qui avaient appris à en retenir de nombreuses et souvent longues fractions, nous serons assurés qu’aucun adversaire ne pourra nous en arracher la connaissance.

Soyons tous de cette catégorie, heureuse et utile, et le Maître sera glorifié.

Raymond Tousch, Lien Fraternel, Août-Septembre 1951